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Lettre à mon ami

Remerciements : Voice Over : SJ ; Musique : The Two – Extraits Emy

En 2021, Jun, alors âgé de 19 ans, a connu un épisode psychotique. Interné à plusieurs reprises, il a fini par s’en sortir, a repris des études qu’il poursuit avec succès. Mais il a toujours gardé en lui le souvenir d’un ami perdu à ce moment-là. Et c’est à travers une lettre à cet absent qu’il se libère aujourd’hui d’un poids par lequel il ne veut plus être hanté. 

 

Salut,

Je ne t’ai jamais dit tout cela… Mais ça me fait mal, encore aujourd’hui.

En 2021, on m’a diagnostiqué un trouble schizo-affectif. J’ai été hospitalisé à SSRN, en plein cyclone, alors que je perdais presque la raison. Quatre jours sans sommeil. Quatre jours sans manger. Dans le silence du cyclone, je croyais que le monde avait pris fin.

 

Pris dans ma folie, j’ai saisi une poêle de cuisine et brisé les vitres de la porte et des fenêtres pour m’échapper. Sous la pluie battante, j’errai, persuadé que chaque maison était un tombeau. J’ai fracassé la vitre d’un voisin, puis j’ai marché jusqu’à la mosquée pour l’appel à la prière. Mon chemin m’a conduit vers le cimetière. J’étais plein decolère, mais le chemin s’achevait dans la boue et j’ai dû revenir en arrière.

 

Avant que je ne rentre, deux policiers m’ont arrêté — les voisins que j’avais agressés étaient leurs collègues. Ils ne comprenaient pas que j’étais malade. Je leur répétais sans cesse :

« Mo’nn fini mor, mo’nn fini antere anba later… »

(« Je suis déjà mort, déjà enterré sous la terre… »)

Ils m’ont traîné d’abord au poste, puis à l’hôpital.

 

Là, on m’a injecté quelque chose. Au bout de quatre jours, enfin, j’ai sombré dans le sommeil. Pendant trois jours, on m’a attaché à un lit, avec des aiguilles dans les deux mains. J’avais soif. J’appelais à l’aide, jour et nuit, mais personne ne venait. Le temps s’est dissous. J’étais déjà perdu dans la paranoïa. J’ai uriné dans mon lit, prisonnier de mes sangles.

 

Sais-tu pourquoi je t’écris tout cela, après toutes ces années ? Parce qu’à l’hôpital, je t’appelais sans cesse. Ton nom résonnait dans ma bouche comme une prière :

« Imran, kot to été ? Imran, to mo frer twa. Imran Khan. Imran, delo… »

(Imran, où es-tu ? Imran, tu es mon frère. Imran Khan. Imran, de l’eau…)

 

J’au cru t’apercevoir dans un autre patient. Mais ce n’était pas toi. Je n’ai jamais raconté cette histoire en entier à personne. Mais cela me brise le cœur que tu ignores ce que j’ai traversé.

 

Peut-être n’arriveras-tu pas à lire jusqu’ici. Mais j’ai toujours voulu te dire la vérité, surtout après avoir quitté l’université. C’est la raison de mon absence, de mes silences. J’ai été interné deux fois encore à l’hôpital Brown Sequard de Beau-Bassin. Voilà pourquoi j’ai dû arrêter mes études, dès la première année, et plus tard encore.

 

Je vous ai considérés, Sarah et toi, comme mes amis. Mais Sarah ne venait à moi que lorsqu’elle avait besoin de mon aide, et le jour où elle m’a bloqué, cela m’a transpercé.

 

Alors voilà, mon ami… Ceci est la lettre que je n’ai jamais osé écrire. C’est la vérité nue, la blessure que je porte encore.

 

Adieu, mon ami. Je ne sais pas si tu liras ces mots, mais aujourd’hui je les ai libérés de mon cœur.

 

Avant d’écrire cette lettre, j’ai beaucoup pleuré. Je voulais me libérer de ces remords que je portais depuis si longtemps. Mettre tout cela par écrit m’a enfin permis d’avancer — de couper avec le passé, d’oublier, et de me permettre de vivre dans le présent.

 

Jun, 23 ans

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