Notre FUTUR

Reprendre l’école, c’est reprendre ma vie

Pendant trois ans, Nigel a été coupé de l’école. À 11 ans, il a été brutalement projeté dans le monde du travail. Un monde informel, dur, cassant. Puis, par hasard, un programme d’échange avec Les Apprentis d’Auteuil lui a ouvert la porte d’un collège. Aujourd’hui, il est de retour en classe, heureux de retrouver l’école et d’imaginer son avenir.

 

 

Je fréquente depuis quelques mois le collège Fatima à Trou aux Biches. Je trouve ça trop bien. C’est cette année seulement que j’ai repris l’école. Cette reconnexion a été possible grâce aux gens, notamment aux éducateurs français que j’ai rencontrés lors du programme d’échanges entre Caritas de Solitude et Les Apprentis d’Auteuil de Paris. Je suis fier d’avoir renoué avec l’école. Pour moi, c’est important car c’est grâce à cela que je peux essayer d’imaginer avoir un avenir un jour. C’est quoi « avoir un avenir » ? Un travail, une vie normale avec des amis, des activités et surtout un toit sur ma tête. Tout ça c’était éloigné de moi pendant des années. J’étais dans un monde pas fait pour les enfants mais je n’avais pas trop le temps de me poser des questions. Je suis allé de maison en maison. J’ai habité à plusieurs endroits. Désormais je vis chez une tante à Solitude. En fait, j’ai connu Caritas car avant ma maman venait travailler dans le jardin ici, comme de nombreuses femmes qui connaissent certaines difficultés. 

 

En fait, à l’âge de 11 ans, j’ai dû arrêter l’école. Je venais de finir mes classes de primaire à Solitude. Beaucoup de mes amis sont allés au collège. Juste le parcours normal, quoi ! Moi, j’ai commencé à travailler. Je ne veux pas dire ici exactement pourquoi. C’est difficile de parler de tout cela. À Caritas les gens sont au courant. Mais j’ai pas envie de raconter aux gens en-dehors. 

 

À cette période, j’habitais à Bois-Marchand chez un gars qui est aujourd’hui décédé. Ce n’est pas moi qui ai choisi quel travail j’allais faire d’ailleurs. C’est lui qui m’a dit ce que j’avais à faire et qui a décidé que je devais arrêter l’école. Il avait décidé que j’irai couper du bois pour ramener un salaire.

 

Tous les jours, un camion passait à 6h du matin. Eté comme hiver, c’était pareil. Je montais à bord. Nous étions à cinq. Il y avait quatre adultes. J’étais le seul enfant. Mais je n’avais pas peur. On allait partout dans l’île, dans les forêts, sur les terrains abandonnés pour couper du bois que le patron allait ensuite revendre. Ce travail était dur. Les autres, les adultes, je les trouvais paresseux. Je travaillais autant qu’eux. Non, je dirai plus qu’eux. Le soir en rentrant à la maison j’étais vraiment fatigué. Et il fallait recommencer le lendemain. Tous les jours c’était pareil. En fin de semaine je recevais une paie de Rs 2500. Le patron me payait en espèces. Normal, je n’ai pas de compte en banque. Avec ça j’achetais à manger. 

 

Un jour de juillet 2024, l’un de mes cousins est venu me dire qu’il y avait un programme qui était mis en place par Caritas de Solitude pour aller camper. Il m’a demandé si cela m’intéressais. C’est comme cela que j’ai rejoint le groupe actuel. Je pensais que ce serait nul mais comme je n’avais rien à faire je suis venu quand même. En réalité j’ai découvert énormément de choses : d’abord des endroits dans mon propre pays, des nouveaux amis aussi. C’est comme ça que j’ai connu le groupe des jeunes français qui sont venus à Maurice pour un échange culturel. Je ne savais pas qui c’étaient les jeunes de l’association les Apprentis d’Auteuil. Je ne savais pas que des jeunes de là-bas en France avaient eux aussi, pour certains, des parcours comme nous. Ils peuvent rire, parler mais ils ont aussi leurs blessures. 

 

Une des éducatrices françaises qui les accompagnait m’a beaucoup parlé. Je ne sais pas si je peux dire qu’elle m’a un peu pris sous son aile. Elle s’appelle Shirin. Elle était gentille avec moi. Je me suis un peu confié à elle. Shirin est la personne qui a demandé à Caritas de m’aider à reprendre l’école. Alors, ils ont tout mis en œuvre pour que cela soit possible. Je n’y croyais pas vraiment. 

 

Pourtant, en janvier 2025 j’ai pu intégrer le collège Fatima dans le nord de l’île. Le jour ou j’ai remis les pieds à l’école, je me suis senti super à l’aise, dans mon monde. J’étais heureux.  J’ai recommencé à apprendre à lire, je vais surtout apprendre un métier. C’est une chance. ça me donne un objectif maintenant. Je pense peut-être me tourner vers les métiers de l’hôtellerie :  soit être au bar, soit carrément devenir cuisinier. Si je n’avais pas rencontré Shirin et Les Apprentis d’Auteuil, peut-être que je serai encore en train de couper du bois. Ou de faire un autre petit métier. J’ai beaucoup perdu en trois ans loin de l’école. Je le sais. J’en suis vraiment triste. Mais j’ai cette fois une chance de rattraper ça. Shirin était vraiment heureuse quand en début d’année la direction de Caritas lui a annoncé qu’un collège m’a accepté. C’est une vraie chance pour moi.

 

Je peux même jouer au foot maintenant. C’est ma grande passion. Mon rêve c’est de  devenir un grand footballeur. Alors, je me suis inscrit dans un club de foot à Mapou qui s’appelle Fire City. Je vais aux entrainements deux fois par semaine. Maintenant, je ressemble plus aux enfants de mon âge même si la vie reste compliquée. Mais c’est comme les jeunes de l’association Les Apprentis d’Auteuil que j’ai rencontré : on peut parler, rire mais on garde nos problèmes à l’intérieur. En tout cas, avec eux j’ai vécu un rêve. Je ne pensais pas pouvoir un jour prendre l’avion, voir Paris, la Tour Eiffel, visiter le Châteaux de Versailles, me promener dans les grands magasins. 

 

J’ai beaucoup de choses à raconter à mes amis au collège !

 

Nigel, 15 ans

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