Pour les jeunes, par les jeunes de l’océan Indien
Vidya habite à Rose Belle. Un village où, dit-elle, « on aime bien se mêler de tout ». De tout ? Sauf peut-être lorsqu’il s’agit de violences familiales infligées aux femmes. Là, la parole se tait. Elle a parlé un jour à sa voisine, clairement victime de maltraitance. Elle en retire une détermination farouche à ne jamais se laisser abuser.
Dans mon village, on aime bien se mêler de tout… mais surtout, on aime bien faire semblant de ne rien voir.
Moi, je suis née et j’ai grandi à Rose-Belle. J’ai toujours habité là, et depuis que je suis petite, j’entends des histoires sur les voisins, sur untel qui a fait ceci, sur une autre qui a fait cela. Mais il y a une femme, une voisine, qui, elle, ne faisait jamais parler d’elle. Pas parce qu’il n’y avait rien à dire, non… Juste parce que personne ne voulait en parler.
Je l’ai toujours connue triste. Petite, je la voyais souvent pleurer, mais je ne comprenais pas pourquoi. En grandissant, j’ai compris. Elle était battue. Son mari la frappait. Sa belle-famille aussi. Pour n’importe quoi. Des gifles, des insultes, des humiliations. Elle vivait un enfer, et tout le quartier le savait. Moi, je ne pouvais pas voir les bleus sur son visage, mais je devinais ses blessures dans sa voix, dans ses silences. Les autres, eux, voyaient tout. Mais personne ne disait rien.
Je culpabilisais de ne rien pouvoir faire. J’étais mineure, et je ne savais pas si j’avais le droit d’aller voir la police ou quelqu’un pour l’aider. Quand j’en parlais à des adultes, ils me disaient toujours la même chose : « Ne te mêle pas de ça. » Alors j’étais perdue. Pourquoi personne ne faisait rien ? Pourquoi elle ne partait pas ? Pourquoi ses propres enfants ne disaient rien ? Est-ce qu’ils avaient peur ? Était-ce à cause des traditions dans certaines familles ou du poids de la religion ?
Un jour, j’ai osé aller lui parler. Je ne sais pas si c’est parce qu’elle savait que je ne pouvais pas bien voir son visage, mais elle a commencé à se confier à moi. Elle m’a raconté sa vie. Les coups. Les humiliations. L’isolement. Et moi, j’écoutais, choquée. C’était pire que ce que j’avais imaginé. À l’époque, je ne comprenais pas. Pourquoi rester avec un bourreau pour des enfants qui, eux, ne disaient rien ? Mais plus tard, en grandissant, j’ai compris. Elle ne voulait pas les laisser. Elle avait peur qu’ils souffrent encore plus sans elle.
Cette histoire m’a marquée. Vraiment. Moi, je ne veux pas vivre ça. Je refuse cette idée de dépendre de quelqu’un, d’avoir peur de parler, d’être enfermée dans une vie qu’on n’a pas choisie. Je veux être indépendante, autonome. Ma maman est compréhensive, et j’ai de la chance d’avoir des parents qui m’écoutent, qui me soutiennent. Malgré mon handicap, je me débrouille toujours seule. Parce que je veux pouvoir décider de ma vie.
Et puis un jour, j’ai appris une nouvelle qui m’a remplie de joie : elle était partie. Ses enfants avaient grandi, et elle s’était enfin libérée de son bourreau. J’espère qu’elle est heureuse, quelque part. J’espère qu’elle a trouvé un endroit où elle n’a plus peur. Parce qu’elle le mérite.
Et moi, je me suis promis une chose : je ne me tairai jamais devant l’injustice.
Vidya, 18 ans