Notre FUTUR

On juge d’abord ta maison, puis ta valeur !

Dans une société qui avance à toute vitesse, grandir dans une maison en tôle impose un poids insoupçonné aux enfants des quartiers modestes. À Moka, au cœur de l’île Maurice, Nathanaëlle, 16 ans, a ressenti cette pression dès l’enfance : non pas à cause de ces conditions de vie, mais à cause du regard des autres. Certains dit-elle jugent trop souvent les gens sur ce qu’ils possèdent plutôt que sur ce qu’ils sont.

 

Pendant plusieurs années, j’ai porté la honte silencieuse d’avoir grandie dans une minuscule maison en tôle. Moi, ça ne me dérangeait pas de vivre dans ces conditions, en vrai c’est le regard des autres qui pesait lourd sur moi.  A tel point que chaque grincement de ces tôles devenait un rappel cruel de ma différence au sein de la société.

 

Ma maison était vraiment modeste et humble, mais pleine de caractère. Elle était composée de deux pièces : le salon et la chambre qui était divisée en deux pour les quatre membres de la famille. Dans le salon, il y avait quatre canapés usés dont l’un avait un trou mais qui, ma foi, me semblait malgré tout confortable. Les canapés étaient placés près d’une petite table basse sur pied que j’aimais tant parce qu’il était fait d’un bois sombre. La chambre était modeste, meublée avec deux grands lits, l’un pour mes parents et l’autre pour mon petit frère et moi. Le seul objet de décoration dans cette pièce était un beau dessin dans un cadre : c’était une petite fille et son chat. J’adorais rêvasser devant ce tableau. Je ne sais pas pourquoi il m’apportait comme du réconfort. Peut-être parce que la petite fille semblait heureuse ? Il y avait aussi deux armoires sur lesquels nous installions des boîtes de rangement. Parfois, en catastrophe, on y mettait aussi des casseroles car l’eau s’infiltrait en temps de grosse pluie. Ça arrivait, les jours ou nous étions absents en journée par exemple et qu’il se mettait à pleuvoir, que l’eau de pluie débordait sans peine de ces casseroles et prenait territoire. Elle envahissait les vêtements rangés dans cette armoire. Je vous laisse imaginer le désastre.

 

Dans la chambre on avait vue sur la cuisine. Normal, il n’y avait aucune séparation entre les deux. Cette petite cuisine qui parfois me déplaisait était toutefois fonctionnelle, avec un évier en inox, quelques carreaux blancs sur le plan de travail afin de l’embellir et un four à gaz sur lequel j’aimais griller du pain lors des temps pluvieux et orageux. Il y avait des étagères en bois qui abritaient des verres, des ustensiles de cuisine, une boîte à épices et des bocaux avec des aliments tels que du lait en poudre, du sucre, le sel, le poivre, etc. J’ai le souvenir que les repas se préparaient toujours dans une atmosphère détendue. Les repas étaient simples mais savoureux ce qui réconfortait nos cœurs. Et vu qu’il n’avait aucune séparation murale entre la cuisine et la chambre, c’était plutôt facile d’aller grignoter tard le soir quand la faim me prenait et que tout le monde s’était endormi.

 

Les murs de la maison étaient faits de grandes feuilles de tôle, rouillées par endroits. Les couleurs autrefois vives de ces plaques métalliques avaient pâli sous le soleil implacable et la pluie battante, selon la saison. Là où se situait la chambre, quelques brins d’herbes poussaient à travers les interstices du sol qui était en terre battue, cherchant désespérément sans doute un peu de lumière. Comme moi accrochée à un espoir de voir évoluer notre situation.

 

Les fenêtres étaient simples mais robustes, adaptées à notre environnement rustique. Certaines d’entre elles étaient composée de bois et de tôle uniquement et d’autres de verre, encadrés par des cadres en métal solide. Chaque fenêtre était conçue pour être fonctionnelle plutôt qu’esthétique. Pour les fermer, elles étaient équipées d’une corde qu’on enroulait autour d’un clou.

 

Bien que ma case en tôle me protégeait de tout danger extérieur, cela ne m’empêchait pas de ressentir la honte d’y vivre, dès que j’étais avec les autres dehors. Cette maison suscitait en moi un mélange complexe de sentiments. D’une part, il y avait une profonde affection liée à cet endroit que je chérissais en vrai. C’était un lieu où la chaleur humaine faisait oublier le reste et on y créait nos souvenirs précieux. 

 

Mais j’étais remplie aussi de ce sentiment de honte au plus profond de moi. C’était comme-ci la conscience de ma condition sociale était plus forte dès que je passais le seuil de la maison.  Les regards des autres, je les voyais parfois teintés de jugement ou de condescendance, faisant ressortir la différence entre ma maison en tôle et les maisons plus conventionnelles du voisinage. J’habite une ville qui s’est beaucoup développée mais nous étions en-dehors de ceux qui en avaient profité. Cela a engendré pendant des années un sentiment de mal-être chez moi, surtout pendant mon enfance. Je me souviens lorsque j’étais en école primaire, mes amis me demandaient comment est ma chambre, ma maison. Embarrassée, honteuse et hésitante je leur décrivais certaines des maisons de ma localité : de grandes maisons, bien évidemment construite en béton, joliment peintes et parfois avec une façade ornée de parties décoratives. Jolies comme la maison qu’une petite fille comme moi rêvait d’habiter. Et quand les amis voulaient venir jouer je trouvais des excuses comme quoi je ne serais pas disponible pendant les week-ends ou que j’allais chez mes tantes.

 

Ça m’est arrivé de dire à quelques personnes que je vivais dans une maison modeste, en tôle et en terre battue. Elles faisaient preuve de compréhension et de respect, reconnaissant simplement cette réalité sans jugement apparent. D’autres cependant, montraient parfois de la surprise ou même de la curiosité, en posant des questions sur mes conditions de vie ou ce que nous faisions lors des cyclones en été. J’ai souffert des réactions moqueuses ou de pitié. D’autres voyaient à travers ma maison une façon de déterminer ma valeur sociale. D’ailleurs, quand je jouais dans le quartier avec mes amis je pouvais voir sur le visage de certains parents que là où je vivais ça les déplaisaient. Un jour j’ai demandé à une amie pourquoi elle ne voulait plus jouer avec moi, elle m’avait répondu que ses parents disaient que j’étais quelqu’un sans éducation, pauvre. Whaou, ça m’a fait vraiment mal mais quelque part je dirai que ça m’a ouvert les yeux sur la façon dont les perceptions matérielles peuvent influencer les relations humaines surtout dans la société mauricienne, là où ton quartier, ta maison, ton travail, ton train de vie quotidien et ta façon de parler permettent aux autres de te coller une étiquette.

 

Notre situation a fini par évoluer. Mais en fin de compte, ma maison en tôle était bien plus qu’un simple abri. Elle était un foyer, là où mon cœur résidait, un endroit où les leçons de vie les plus importantes ont été apprises et chéries. Elle était un havre de paix où les souvenirs précieux étaient créés chaque jour. 

 

Nathanaëlle, 16 ans

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