Notre FUTUR

Mémoires d’un toit en tôle

Moorgane raconte l’envers de son décor familial : dix-neuf ans de coups, de cris et de peur. Sous l’emprise d’un père alcoolique et violent, sa vie n’était que douleur. Contrairement à d’autres jeunes, elle a vécu la séparation de ses parents comme une délivrance. Ses mots claquent comme une revanche sur le silence.

 

Ma petite maison se trouvait à Rivière du Rempart. C’était une maison en tôle de trois pièces : le salon nous servait aussi de chambre, une cuisine/toilette, la chambre de mes parents et la salle de bain, dehors. Nous vivions à quatre jusqu’à ce que les mites deviennent des membres à part entière de la famille. Elles ont détruit tous les meubles en bois. Mais la misère n’a jamais été un problème à mes yeux tant que j’avais l’amour de ma mère et de mon père ; cela comblait les manques.

 

Je ne saurais pas dire quand cela à commencer mais l’alcool est devenu la deuxième épouse de mon père. Je me souviens de l’odeur au réveil le matin, de lui titubant, des chutes, des tables qu’il renversait, et parfois, je le trouvais assoupi sur mon ordinateur portable. Cela a provoqué ma première angoisse ! C’était son thé le matin, son café l’après-midi et son carburant la journée. C’était devenu une routine, à tel point qu’il buvait même lalkol ble – de alcool à brûler quoi ! C’est moi qui ai découvert qu’il sortait souvent de la maison, et quand je cherchais de l’alcool pour nettoyer les vitres, il n’y en avait plus. Dès lors est née, ma deuxième angoisse. D’ailleurs, je soupçonne cette odeur d’avoir provoqué mon asthme.

 

Mon père, il était policier, il travaillait dur, je crois, mais il a fini par se faire fait virer parce qu’il buvait même pendant son temps de service — ça a été le premier bouleversement à la maison. Par la suite, les choses ont empiré.  J’ai fini par arrêter l’école en Form V pour travailler, mais à chaque fois, mon salaire disparaissait, parfois la vaisselle aussi, et notre dignité par la même occasion. Ensuite ? La violence verbale a pris place. Ma mère se faisait tout le temps traiter « d’illettrée, de saleté, de folle qui prend du Xanax pour surmonter sa dépression ». Et quant à moi : « tu finiras comme ta mère, sans éducation, t’es qu’une sale p…, une dévergondée » disait-il !

 

Absolument tout devenait prétexte pour en venir aux mains : « La nourriture n’a pas de goût ! », ou encore Maman qui disait : « On n’a plus d’argent, les dettes s’accumulent, on va nous couper le courant. » Ou encore mon père rentrait avec des marques au cou qui suggérait qu’il était allé voir ailleurs. 

C’est ma mère qui subissait les conséquences. On percevait toute la colère et l’envie de détruire dans les yeux de mon père avant même qu’il ne pète les plombs : il nous tapait à coup de gros coquillages, de bouteilles de rhum ; c’est arrivé qu’ il nous balance le couvercle de la cocotte-minute, il jetait nos vêtements balancés dehors… bref, tout ce qui pouvait faire mal.

Se faire arracher les cheveux jusqu’à ne plus pouvoir respirer, se faire tabasser jusqu’à ne plus ressentir la douleur, hurler jusqu’à perdre sa voix et pleurer toutes les larmes de son corps… Nos corps s’étaient habitués aux coups, à la douleur. Mon travail était mon seul échappatoire. Finalement, j’avais fini comme ma mère : des bleus sur le tout corps, et la bouche brûlée comme ma p’tite soeur.

Je voulais fuir, mais pour aller où ? Et de toute façon, ma mère serait restée pour nous, ses enfants. Mais un jour, elle a pris son courage à deux mains et a porté plainte. Sauf qu’une Form 58 (fiche de dépôt de plainte), c’était juste un bout de papier. Nous n’étions pas plus heureuses !

 

Puis un jour, mon père n’est pas rentré. Nous sommes restées quatre mois sans la moindre nouvelle. Ça fait bizarre de le dire mais le sourire, la joie et la lumière sont revenus dans nos vies. On avait enfin une paix d’esprit. Bien plus tard, ma mère et mon père se sont séparés officiellement. Nous l’avons vécu comme un réconfort. Nous avons abandonné la maison en tôle pour un autre toit à Pamplemousses. Ma mère a refait sa vie. C’était un homme différent qu’elle a rencontré. Nous habitions désormais dans une maison en dur, ma première maison en béton. C’était une période de ma vie où je me réveillais sans pleurs, sans entendre : « Moorgane, ton père me tabasse encore », ou « Moorgane, je n’en peux plus ». Fini les réveils en panique à deux heures du matin pour appeler les flics. Parfois, je me suis demandé si je rêve. Est-ce que c’est ça, une vie normale ? Pendant dix-neuf ans, j’ai survécu, et là, pour la première fois, j’avais le sentiment enfin de juste VIVRE !

 

Ce que j’en ai retenu ?  Ce n’est pas toujours une mauvaise chose de voir ses parents se séparer. Pour moi, c’était même positif : le moyen d’avancer et de laisser derrière soi les traumatismes qui finiront par s’effacer petit à petit. Tant que tu ne sors pas de ta galère, tu ne sauras pas que l’avenir te réserve de belles choses. Moi, j’ai fini par être heureuse.

 

Moorgane, 21 ans

1 Commentaire

  • #couttebale

    Magifique mon gâté ❤️❤️✨

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