Notre FUTUR

Le passeport britannique à tout prix

EtoileFilante a grandi dans un milieu écrasé par la violence. Rejeté par son père du seul fait d’être homosexuel, il place tout son espoir dans l’obtention d’un passeport  britannique grâce à sa mère, chagossienne. Mais depuis le 22 mai 2025, la rétrocession de l’archipel des Chagos au gouvernement mauricien, actée après des décennies de litige, fait de ce passeport un rêve incertain. Ivo veut y croire.

 

Cela fait plus de cinq ans que je vis loin de mes parents. Notre famille a explosé. Mon père m’a renié. Je ne peux pas le dire autrement. Parce que je suis homosexuel. Même quand j’étais enfant, il n’a jamais eu un mot tendre. Un jour, il m’a lancé qu’il regrettait d’avoir un fils comme moi. Ces mots m’ont atteint, même si, au fond, je n’attendais rien de lui. Ma mère, elle, s’est effondrée dans une profonde dépression après la mort de ma sœur aînée, en 2023. Elle a été internée dans un foyer – ils appellent ça un couvent. 

 

Ma mère est née à Diego Garcia. Elle fait partie de ceux qu’on a arrachés à leur terre lors de la déportation des Chagossiens. Elle en parle souvent, avec cette colère qui ne s’éteint jamais : les Britanniques ont pris son île, mais aujourd’hui, c’est aussi par eux qu’un autre avenir semble possible. Beaucoup dans ma famille ont déjà obtenu le passeport britannique. Elle, elle ne l’a jamais demandé. Mais elle m’encourage, moi, à le faire. Elle me répète que je suis jeune, que je mérite une autre chance. 

 

En fait, notre vie, quand on était une famille réunie n’a pas été rose

J’ai grandi dans la banlieue de Port-Louis, dans une famille où nous étions tous un peu cassé. C’est un milieu difficile. Jusqu’à maintenant d’ailleurs. Si j’y étais resté, sans doute que j’aurais suivi un chemin sombre. Mon père, alcoolique, rentrait du travail en fin de journée, ivre de fatigue et de rhum. Il brisait des objets, frappait ma mère avec ce qu’il trouvait. Je me rappellerais toujours de cette fois où il est rentré et que ma mère et moi nous nous courions après dans la maison. On rigolait. La télé était allumée. Il l’a arrachée de sa prise et l’a balancée en direction de ma maman qui l’a évitée de justesse. Ces colères m’ont marqué à vie. Nous, les enfants on était noyés d’insultes. Sans raison. Quotidiennement. Ma mère a subi des coups chaque jour que Dieu donne. 

 

Ma sœur aînée, n’a pas échappé à cette violence. Elle aussi a été une femme battue. Son conjoint s’enfonçait dans le milieu de la drogue, et elle, à force de vivre à ses côtés, a fini par être happée par ce monde-là. J’ai vu la drogue lui voler sa jeunesse et son sourire. Elle est morte en 2023, dans des circonstances que je n’ai jamais vraiment comprises. On m’a tenu à l’écart, sous prétexte que j’étais trop jeune. Elle n’avait que 25 ans. Mais je sais qu’elle a souffert, et son absence restera « un trou » dans ma vie. Elle avaient deux enfants. Ils vivent aujourd’hui chez un membre de la famille. Moi, j’essaie de rester présent pour eux, parce qu’ils sont tout ce qu’il me reste d’elle.

 

Mon frère, le cadet de la famille, a pris un autre chemin, lui aussi marqué par la violence et les mauvais choix. Il a connu la prison. Quand ma sœur est morte, il a obtenu une permission pour venir à son enterrement, entouré de policiers. Le voir ainsi, menotté dans un moment de deuil, m’a fait comprendre à quel point la violence nous détruit tous. Aujourd’hui, il est sorti, mais l’équilibre reste fragile. Je lui ai proposé de quitter ce quartier ou nous avons grandi dans la souffrance mais il ne veut pas. Il fait sa route. Je respecte son choix.

 

Moi, j’ai été ballotté de maison en maison. Depuis peu, je vis chez une tante, la sœur de mon père. Ce n’est pas le bonheur, mais c’est un répit. J’y trouve enfin un peu de calme, loin de la colère paternelle. Mais maman me manque. Ce qui me console c’est qu’elle dit que là où elle est , elle se sent protégée. Moi, j’ai du mal à accepter cette distance : je n’ai le droit de la voir qu’une fois par semaine, le dimanche. Je m’accroche à ça. Et ces paroles comptent.

 

C’est pour cela que j’ai entamé les démarches pour avoir le passeport britannique En tant qu’enfant d’une chagossienne, j’y ai droit. Mais apparemment il ne faut pas trop tarder parce que la législation risque de changer et les enfants de la 2ème génération pourraient  en être privés. C’est depuis que la Grande-Bretagne a décidé de rendre les Chagos au gouvernement mauricien. Alors, je dois faire vite car ce passeport, pour moi, c’est une porte de secours. Ce sera une voie vers une autre vie, je l’espère. Pour fuir un environnement qui n’a été que violence autour de moi. Les seules repères stables qu’il me reste aujourd’hui sont ma mère, même si elle est internée dans un couvent, ma nièce et mon neveu et enfin le collège. Bientôt j’aurais terminé ma scolarité. C’est important pour moi. Ce sera mon deuxième passeport vers le futur. Cependant, j’ai aussi promis à maman que tant qu’elle sera là, je resterai près d’elle à Maurice. Partir de mon île sera un moyen pour me construire loin de la haine et des insultes. Parce qu’ici, être homosexuel, c’est vivre chaque jour avec les moqueries, les regards méprisants, les coups bas. Au collège, dans la rue, jusque dans la bouche de ceux qui devraient protéger, j’entends ces mots : “Eh le PD !” Avant je me chamaillais avec les gens. Avec les années, j’ai fini par comprendre que ça ne sert à rien. Je les ignore. Je passe mon chemin. J’encaisse. 

 

C’est l’espoir d’une autre vie qui me fait tenir. Depuis longtemps je fais les efforts nécessaires pour avancer à l’école. C’est vrai que j’ai pris un peu de retard mais je garde un cap. J’aimerais devenir vétérinaire ou infirmier. Je rêve de poursuivre mes études, de travailler à l’étranger et un jour peut-être de prendre soin de ma nièce et de mon neveu. Et de sortir ma mère de ce couvent ! J’aimerais leur montrer qu’il existe autre chose que la violence, que l’on peut s’en sortir.

 

EtoileFilante, 20 ans

1 Commentaire

  • Christiane Pasnin

    Bravo pour ta perseverance et pousse vers le large

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