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La maladie de mon frère m’a rendue invisible

À l’âge de 7 ans, Meghane apprend que son frère de 5 ans est atteint de leucémie. Le traitement nécessaire n’étant pas disponible à Rodrigues, où ils vivaient, sa mère part à l’île Maurice avec son frère pour son traitement. Laissée à la garde de ses grands-parents, Meghane souffre d’un profond sentiment d’abandon et d’invisibilité. Des années plus tard, ses études universitaires à l’île Maurice l’éloigneront encore davantage de sa famille. Jusqu’à ce qu’elle décide de dire ce qu’elle a sur le  cœur.

 

Je n’étais qu’une enfant lorsque j’ai su que je ne serais jamais sous le centre de l’attention. J’avais moins de dix ans lorsque mon enfance a basculé vers l’âge adulte ; j’étais encore une enfant lorsque j’ai commencé à m’occuper d’un enfant. J’ai 22 ans et ce n’est qu’aujourd’hui que je me remets de vivre dans l’ombre de mon frère.

J’ai un frère de deux ans mon cadet, et ce dernier a reçu un diagnostic de leucémie à seulement 5 ans. Faute de soins médicaux adéquats à Rodrigues, mon frère et ma mère ont dû se rendre à Maurice pour faire soigner mon frère. À partir de ce moment-là, je n’ai plus été Meghane, mais la sœur de mon frère. J’ai dû rester avec mon père à Rodrigues. Pleinement absorbé par son travail, il m’a laissée chez mes grands-parents qui ont pris soin de moi.

Pendant deux ans, tout a tourné autour de mon frère, ce qui est logique puisqu’il était malade. Moi je n’étais qu’une enfant, pleurant chaque jour pour le retrouver. J’étais juste une enfant qui cherchait quelqu’un qui me demanderait : « Comment vas-tu, ma chérie ? » J’ai fait de mon mieux dans tout ce que j’ai entrepris : le sport, l’école, mais l’attention n’était pas sur moi, et je ne me souviens pas si elle l’a jamais été.

 

Pendant deux ans, on ne m’a rien dit de ce qui se passait. Je ne voyais seulement ma mère pleurer au téléphone, mon frère perdre ses cheveux, sa peau blanchir et gonfler. Je me souviens encore des injections de médicaments que mon frère recevait matin et soir. J’étais traumatisée et mon seul échappatoire était de regarder Barbie et de rêver de ma propre vie dans la maison de mes rêves. 

 

Puis mon frère a été guéri. J’étais si heureuse de les revoir, lui et ma mère. Non pas à travers un écran, mais ici, avec moi. Je me souviens encore de ce jour-là. J’étais à l’école, mais j’avais l’esprit à l’aéroport. Tout le monde savait que c’était un jour spécial pour moi. Même si mon frère était encore sous les projecteurs, l’excitation a pris le dessus sur ce sentiment d’invisibilité. J’avais le cœur léger. Après l’école, je devais aller aux cours particuliers avant d’aller retrouver ma famille à l’aéroport, mais j’étais tellement heureuse que ma grand-mère a décidé de me laisser manquer les cours ce jour-là.

 

Il était temps de revoir maman et mon frère. Ce furent des larmes de joie, des rires et des câlins. Mais le rêve fut de courte durée. Il était toujours au centre de toutes les préoccupations. Famille et amis venaient souvent en visite. Chacun de ses actes était salué comme une grande réussite. Pendant ce temps, j’étais là, spectatrice dans un monde où je n’avais plus ma place. Le temps passait, et ce sentiment d’invisibilité se transformait en sentiment d’inutilité. J’avais l’impression que tout ce que je faisais n’était jamais à la hauteur des attentes de mes parents, comparé à mon frère. Je ressentais une pression énorme. Je devais prendre soin de tout le monde, mais qui s’occupait de moi ?

 

Des années plus tard, je suis entrée à l’université à Maurice. J’ai goûté à la liberté, au lâcher prise et à l’insouciance. Loin de ma famille, la pression était toujours présente, mais plus facile à gérer. Quand je me sentais dépassée, je ne les appelais pas. Je fuyais la pression et je privilégiais ma santé mentale. Cependant, cela créait davantage d’ambiguïté et, de leur côté, mes parents se sentaient abandonnés par leur fille. Les jours passaient et la tension était à son comble.

 

Un jour, en allant à l’école, j’ai reçu un SMS de ma mère. C’était déchirant. Elle y écrivait tout ce qu’elle ressentait, comment elle se sentait abandonnée par ses enfants. Je n’y voyais que des plaintes et de l’égoïsme, car ils ne savaient pas ce que je ressentais depuis toutes ces années. Mais est-ce que j’ai bien géré la situation ? Deux jours plus tard, j’ai décidé de répondre. J’ai tout écrit, ce que je ressentais, ce que je n’appréciais pas. C’était si bon de me débarrasser de tout ça.

 

Samedi, il faisait froid et il pleuvait légèrement. Mon père m’a envoyé un SMS disant que quelqu’un du nom de M. Mokul m’attendait en bas. En descendant, j’ai vu… mon père. Il avait pris l’avion de Rodrigues pour venir me voir. Je me suis jetée dans ses bras. Ni veste, ni imperméable. Mon père était là, et rien ne m’a fait plus chaud au cœur. Nous nous sommes assis dans le salon, et il m’a expliqué qu’il était là pour parler de la tension entre nous et du SMS que j’avais envoyé. Il parlait, j’écoutais, je parlais, je pleurais et il écoutait. J’avais l’impression de vider une bouteille remplie d’émotions négatives, de pression, de colère… Après cette longue conversation, pourtant nécessaire, il fut temps pour mon père de partir. Nous avons pris une photo et nous nous sommes dit au revoir avec la plus chaleureuse des étreintes. Mon cœur n’a jamais été aussi léger.

 

Méghane, 22 ans

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