Pour les jeunes, par les jeunes de l’océan Indien

Jeune Mauricienne en hôtellerie, Amélia a passé six mois en France pour se former. Six mois pour apprendre le métier, la rigueur… et aussi le poids des clichés et remarques désobligeantes. Son récit, sous forme d’un poème, raconte cette blessure qui lui a aussi fait prendre conscience de ce que vivent les étudiants étrangers dans son propre pays.
Je suis venue apprendre l’art d’accueillir,
De servir avec grâce et rigueur.
Mais en France, pendant mon stage,
J’ai compris que certains sourires pèsent lourd.
Dans les couloirs d’un hôtel de luxe,
Mon accent est devenu une curiosité,
Ma peau, un sujet de conversation.
On m’a dit :
« Tu parles bien pour une étrangère. »
Comme si ma voix devait d’abord se justifier.
« Ah, on ne t’imaginait pas comme ça. »
Comme si mon nom devait d’abord se justifier.
Les clients me demandaient d’où je venais,
Et quand je répondais Île Maurice,
Leurs regards disaient : ah, une île de vacances,
Pas une femme qui travaille,
Pas une stagiaire éduquée,
Pas une présence légitime ici.
J’étais « la petite Mauricienne »,
Jamais simplement la collègue.
Les autres avaient un prénom,
Moi, j’avais une origine.
Mes collègues français ont tout vu :
Les regards, les sous-entendus, les blagues.
Mais aucun n’a rien dit.
Le silence aussi, parfois,
Fait mal comme une insulte.
Il y a eu quelques exceptions,
Rares, vraiment rares,
Des personnes qui m’ont tendu la main,
Qui m’ont parlé sans curiosité,
Juste avec respect.
Ces moments-là m’ont fait oublier,
Un tout petit peu, le reste.
Et puis j’ai écouté mes amis,
Venus d’ailleurs eux aussi.
Leurs histoires ressemblaient à la mienne :
Les sourires forcés,
Les compliments déguisés,
Les postes qu’on ne nous confie pas,
Les remarques qu’on avale pour ne pas faire de vagues.
On aurait pu croire qu’on exagère,
Mais nos silences se ressemblaient trop
Pour que ce soit un hasard.
Je ne suis pas qu’un passeport,
Ni une couleur d’exotisme dans le décor.
Je suis la fille d’un peuple qui se lève tôt,
Qui parle plusieurs langues avec fierté,
Et qui sait que la dignité
N’a pas besoin d’accent français.
Je ne veux plus qu’on m’explique la France.
Je la vis, je la sers, je la traverse
Avec mes rêves, mes blessures, ma force.
Derrière mon sourire,
Il y a une colère tranquille,
Une envie de réparation.
Je la porte haut,
Comme un drapeau invisible,
Celui de tous ceux
Qu’on regarde de haut,
Alors qu’ils tiennent le monde debout.
Amélia, 23 ans