Pour les jeunes, par les jeunes de l’océan Indien

@Yuri Bordelais
Depuis trois ans maintenant que j’ai pu m’ouvrir à d’autres mondes, notamment à l’ile Maurice, j’ai ressenti cette pression, ce pincement au cœur, cette vérité qu’être Malgache est difficile à apprivoiser loin du sol ancestral.
J’ai tout le temps cru que cette réalité que je venais de quitter était tout à fait normale puisque dans mon pays natal, le délestage à l’heure du dîner, quelque fois même presque toute la matinée, l’eau qui se tarit et devient marron pendant un moment et qu’il faut patiemment laisser s’éclaircir pour devenir transparente et inodore, tout cela faisait partie de mon quotidien, une simple fatalité de la vie insulaire.
Mais partout où je vais, loin du vacarme et des bidons jaunes qui s’alignent devant les pompes municipales dans tous les coins de Tananarive, en arborant fièrement le blanc de l’harmonie, le vert de mon espoir, le rouge de mon identité, je suis souvent accueillie par cette fameuse question, lancée avec une pitié curieuse : « Est-ce que, dans ton pays, il y a des micro-ondes, de l’eau courante, une télévision Smart ? » Par la simple curiosité d’un étranger, on se retrouve renvoyé à un Moyen Âge imaginaire. Je tente tant bien que mal de persuader du contraire en décrivant les hôtels de luxe des plus grandes franchises qui ont eu la chance (ou pas) de s’implanter dans ma ville ; le fameux KFC dont le menu est considéré comme une option bon marché dans ma vie actuelle, mais qui reste un luxe à s’offrir à Madagascar ; les belles voitures que j’ai vues pendant les quelques salons organisés dans ma ville ; le téléphérique fraichement inauguré. Je défends mon île comme on défend une forteresse envahie par l’ennemi, m’épuisant à crier que oui, elle est bel et bien moderne !
Mais le soir, seule, je me souviens. Je me souviens que cette réalité existe bel et bien encore en 2025. Que le luxe affiché par l’élite n’est qu’une vitre polie devant la grande misère que vit la majorité des Malagasy. Que la véritable honte n’est pas le manque de micro-ondes, mais le vol des richesses, la corruption, l’injustice sociale qui y règne et qui rend ce micro-ondes inaccessible à la majorité. Je repense alors à ces rêves brisés, aux rêves brisés des jeunes malagasy: l’envie d’une bonne éducation, de ressembler à ces jeunes qui visent Princeton et Harvard après avoir fini leur parcours scolaire, de vouloir changer le monde. Des aspirations que les parents ne peuvent pas concrétiser, brisées par le manque d’infrastructures adaptées et un chômage omniprésent. Résultat : sitôt le CEPE obtenu, beaucoup de jeunes doivent travailler, leurs familles ne pouvant plus financer leur scolarité.
Et la fierté se fissure. Être Malgache, ce n’est plus seulement porter l’histoire d’un peuple fier. C’est porter l’échec d’une nation, l’injustice de ses dirigeants. L’identité devient cette chemise trop petite que l’on voudrait arracher. Néanmoins, au plus profond de moi, je sens gronder un espoir neuf. Je vois la Gen Z se lever, brandissant l’étendard de la colère contre la fatalité. Mon si cher pays, je le sais, ne s’endormira pas toujours ; il est déjà en train de se battre pour un nouveau jour.
MHD, 23 ans