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Être albinos à Madagascar : une vie sous menace
Ari Fé, 25 ans, est journaliste dans une télévision privée d’Antananarivo. Habituée à couvrir les sujets de société, elle a été profondément marquée par les violences subies par les personnes atteintes d’albinisme à Madagascar. Derrière les mythes et les traditions qui perdurent, elle dénonce une réalité terrifiante : celle d’une véritable chasse aux albinos, conduisant parfois à des rapts et des assassinats .
En travaillant comme journaliste, j’ai constaté que la situation des personnes atteintes d’albinisme, ou « varira », l’appellation en malgache, est alarmante. Ces personnes sont vulnérables dans notre société et exposées à des pratiques néfastes. Elles sont victimes d’enlèvements et de trafics d’organes. L’UNICEF elle-même a alerté les autorités publiques afin qu’elles prennent des mesures pour protéger toutes les personnes atteintes d’albinisme.
Dans la pratique de mon métier, je porte une attention particulière aux sujets de société. En mars 2025, un événement tragique m’a profondément marquée. Cela s’est déroulé à Camp Robin, une commune rurale du district d’Ambohimasoa, dans la région Haute Matsiatra. J’ai lu dans un quotidien qu’une fillette de quatre ans avait été enlevée et sauvagement assassinée dans cette commune rurale. J’ai tout de suite alerté la rédaction en proposant ce cas comme sujet d’actualité. En recoupant les informations auprès des autorités locales, j’ai appris que les bandits s’en étaient pris à elle, croyant que cette petite fille était atteinte d’albinisme. Les autorités ont annoncé que la tête de l’enfant, sans yeux ni langue, avait été retrouvée sur un pylône non loin du village. J’ai également appris que ses parents avaient confirmé que la fillette n’était pas une « varira ». Une information qui a été vérifiée auprès d’un médecin. J’ai lu dans le quotidien L’Express de Madagascar, qui a aussi traité ce sujet, que “la fillette avait simplement la peau et les yeux très clairs.”
Ce cas d’enlèvement montre deux choses : d’abord, la vulnérabilité des personnes atteintes d’albinisme, qui peuvent à tout moment faire l’objet d’attaques contre leur personne ; ensuite, la gravité de la situation pour ces personnes dans notre pays. Les rapts d’enfants ou d’adultes albinos qui se sont produits se terminent presque toujours par des atrocités.
J’ai continué à mener mon enquête, et je peux affirmer qu’à chaque rencontre avec les journalistes, l’Association Albinos Madagascar tire la sonnette d’alarme. Ses membres travaillent sans relâche pour sensibiliser la population aux superstitions qui mettent en danger les personnes atteintes d’albinisme. Avant ce drame, en avril 2024, j’ai assisté à l’une de leurs conférences.
J’ai appris que sept cas d’enlèvements avaient été enregistrés auprès de l’association en l’espace de trois mois. J’en suis ressortie sonnée ! J’ai réalisé un reportage sur ce sujet et mis en évidence les atrocités auxquelles ces personnes sont confrontées.
Dans un article de 2424.mg publié en avril 2023, le président de l’association soulignait qu’il ne pouvait pas affirmer que les cas d’insécurité visant les personnes atteintes d’albinisme avaient diminué ou cessé. J’ai continué à fouiller pour trouver d’autres éléments. Le gouvernement est-il au courant ? En me documentant, j’ai découvert qu’un an auparavant, c’est-à-dire en mars 2022, l’UNICEF avait soutenu l’alerte lancée par les experts des droits de l’homme des Nations unies, qui exhortaient les autorités publiques de Madagascar à prendre des mesures urgentes pour protéger les personnes atteintes d’albinisme. L’UNICEF cite dans son rapport que l’évaluation de l’insécurité dans le sud de Madagascar, en janvier 2022, confirme l’existence de perceptions et de croyances qui encouragent l’enlèvement, le vol et le trafic d’organes d’enfants atteints d’albinisme.
En juillet 2024, RFI a évoqué dans un article les cas d’enlèvements de mineurs atteints d’albinisme. Selon certains ravisseurs, les yeux d’enfants atteints d’albinisme auraient des pouvoirs magiques. Ils croient que ces yeux peuvent voir dans le noir, notamment dans les gisements miniers.
Dans certains cas, la gendarmerie ou la police parvient à sauver les enfants enlevés grâce à leurs opérations. J’ai lu dans Midi Madagasikara du 14 février 2025 qu’un réseau de ravisseurs d’enfants albinos avait été démantelé à Manakara. La police, qui a mené l’enquête et les recherches, a pu sauver l’enfant enlevé.
Je partage l’inquiétude de l’UNICEF et celle de l’Association Albinos Madagascar. Beaucoup de questions me taraudent. Je sais, par exemple, qu’il reste des barrières qui paraissent infranchissables au niveau légal. Deux propositions de loi sur la protection des personnes atteintes d’albinisme, déposées par le député Randrianasolo Nicolas, élu du district de Betroka, ont été respectivement adoptées en 2023 et en 2025 par l’Assemblée nationale et le Sénat. Mais elles ont toutes deux été rejetées par la Haute Cour constitutionnelle.
En participant à la couverture de la semaine de la gendarmerie en mars dernier, j’ai appris qu’un centre avait été ouvert spécialement pour accueillir les albinos. J’ai fait un reportage sur ce sujet. C’est un refuge qui se trouve à Farafangana, dans la région Sud-Est. À ce jour, 70 personnes, âgées de un à 35 ans, y sont prises en charge. Ce centre s’appelle le SEMAFA, Sekoly Mampiaty Farafangana. La gendarmerie nationale veille sur ces personnes vulnérables et assure leur protection. Mais il reste encore beaucoup à faire en matière de sensibilisation des parents pour qu’ils y envoient, de leur plein gré, leurs enfants atteints d’albinisme. Il persiste encore des blocages à ce niveau.
En tant que citoyenne malgache, j’aimerais que les personnes atteintes d’albinisme puissent vivre librement dans notre société, sans craindre pour leur sécurité ni pour leur avenir. L’UNICEF rappelle que tout enfant a droit à la vie, quelle que soit sa différence.
Ari Fe. – 25 ans