Notre FUTUR

Envers et contre tout !

Depuis l’enfance, Afraz vit dans l’obscurité. Pourtant, c’est avec une détermination rare qu’il a affronté l’école, les deuils, l’exclusion, et les silences institutionnels. Classé au HSC malgré tous les obstacles, il incarne une jeunesse invisible, mais résolument debout.

 

J’ai 21 ans et le monde s’est effacé peu à peu pour moi. Enfin, pas depuis toujours. J’avais encore un peu de vue quand j’avais huit ans, et puis, progressivement, ma vision s’est dégradée. Aujourd’hui, il ne reste rien, juste le noir, et pourtant, je vois peut-être plus que beaucoup.

 

À l’école, ce n’a pas toujours été facile. J’ai appris le braille très tôt. Dès mes premières années à Rahman Osman Phoenix, il a fallu que je m’adapte, que je me dépasse. Mais même pour rester dans ce collège il a fallu convaincre la direction. Le recteur voulait m’envoyer dans une école spécialisée. Mon père, lui aussi non-voyant, a refusé. Il a demandé qu’on me laisse une chance. « Faites-le passer un test », il a dit. Ils m’ont donné une équation à résoudre en fraction. Je l’ai fait. J’ai gagné ma place. Le ministère m’a attribué un assistant teacher. Il était là, mais sans expérience, sans vrai engagement. Heureusement, j’ai trouvé du soutien ailleurs. Mes camarades, mes profs, ils ne m’ont jamais traité comme une victime. Certains enseignants ont fait l’effort de m’accompagner, de trouver des méthodes pour que je puisse avancer. C’était dur, mais je me suis adapté.

 

Ma vie au collège, c’était une étrange contradiction. J’étais avec tout le monde et, en même temps, un peu seul. Aux récréations, mes camarades jouaient au foot. Moi, je restais sur le côté, à écouter. J’aime le foot. Je connais toutes les tactiques, tous les joueurs. Cristiano Ronaldo, c’est mon modèle. Mais sur le terrain, il n’y a pas de place pour un aveugle.

 

Puis à partir de ma troisième année de collège j’ai bénéficié de l’accompagnement d’une nouvelle assistant teacher, Corinne Viade. Dès le premier jour, elle a cru en moi. C’est grâce à elle, à son soutien constant, que j’ai pu avancer. Chaque cours était une nouvelle épreuve, mais aussi une chance. Elle m’a aidé à comprendre que l’éducation, c’était aussi une question de confiance, et elle m’a apporté cette confiance. Pendant la période de Covid, cela a été particulièrement difficile pour moi car j’apprenais mes cours à travers Youtube, par exemple. J’ai essayé les leçons particulières mais les enseignants étaient réticents à prendre un élève non-voyant. J’ai connu des murs de refus. J’ai encaissé.

 

Puis en 2021, avant les examens, j’ai perdu mon papa. Tout s’est assombri après le décès de mon père. Là, j’ai compris ce que c’était que d’avoir de vraies responsabilités sur les épaules. Être jeune et devoir devenir adulte d’un coup. Ma mère a tenu bon. Elle a été mon pilier. Et Corinne, mon assistant teacher, mon phare dans la tempête. Ma sœur, qui est également non-voyante, a aussi été d’un grand soutien pour moi. 

 

Pour mon père, j’ai continué bien que c’était compliqué. Je n’avais pas le luxe du temps ni des moyens. Il me fallait plus d’heures que les autres pour apprendre, plus de patience pour écouter les textes lus par un ordinateur, plus de silence pour entendre ce que les autres voyaient.

 

Pendant le deuxième trimestre, j’étais épuisé. Vidé. La fatigue physique, le stress mental. Je n’avais plus d’appétit. Mon sommeil était irrégulier. Ma mère me gavait de compléments alimentaires, pensant que ça m’aiderait à tenir. Mais au fond, je survivais. Suspendu à un espoir, celui de réussir. Pour moi, pour elle, pour Corinne, pour mon père là-haut.

 

Je n’avais pas de distractions. Pas de sorties. Pas de fêtes. Ma jeunesse, je l’ai mise entre parenthèses. Mais j’ai trouvé refuge dans la prière. J’ai puisé des forces dans la foi. Dans la musique aussi. C’est là que je trouve un exutoire : des sons qui m’accompagnent, des paroles qui me réchauffent l’âme, comme celles de La Fouine ou de Sexion d’Assaut, des artistes qui m’ont appris à ne jamais renoncer. Leurs mots résonnent encore en moi, me disant d’essayer encore, de continuer à rêver, même lorsque la route est semée d’embûches. Et puis il y avait Joshua, mon ami, mon frère. On se connaît depuis la Form I. Lui aussi a perdu ses parents. On voulait réussir ensemble. C’était notre pacte silencieux.

 

Chaque jour, je devais me rendre au collège pour bénéficier de l’aide de mon support teacher. Le stress a vraiment commencé à la réception de l’emploi du temps des examens de la Higher School Certificate. Il fallait que je sois présent pour les révisions. Pas d’option. Et pour les examens, je n’étais pas autorisé à être accompagné par quiconque. C’est un ordinateur qui lisait les textes. Une première pour moi. J’étais terrifié.

 

Le jour des résultats, le 8 février, un mercredi, une émission avait été diffusée sur moi quelques jours avant. « Tous Égaux. » Présenté par le journaliste Kendy Mungra. Il était là pour connaître les résultats, Corinne aussi. C’est le fiancé de ma sœur qui nous a emmenés au collège pour prendre connaissance des résultats.

 

En route, un ami m’appelle. « Félicitations, tu es classé ! Moi aussi : 8e, et toi : 15e. » J’ai eu un choc. J’étais partagé entre l’euphorie et l’incrédulité. À l’école, Corinne a fondu en larmes. Mon ami Emilio m’a serré dans ses bras. Ma mère, elle, était tellement surprise qu’elle n’a même pas pleuré. Ma sœur aussi était là. Tous mes profs sont venus me féliciter. Même les pions, certains en larmes. Un d’eux m’a dit : « Mon propre enfant ne m’a jamais rendu aussi fier. »

 

Le recteur, M. Mourad, est venu en personne me féliciter. On a développé une vraie amitié depuis. Mon ancienne prof de français, Mme Sahaduth, qui me donnait cours à distance le samedi, est aussi venue. Elle croyait en moi. Je me suis dit : j’espère que papa voit tout ça.

 

Mon téléphone explosait de messages. Et moi, j’étais dans un rêve éveillé.

Depuis, je réfléchis à mon avenir. Et maintenant ? J’ai de grands rêves. Étudier à l’étranger, peut-être en Angleterre. Faire du business, ou peut-être quelque chose de plus artistique. Les arts du spectacle me tentent. Un jour, peut-être, je deviendrai coach en motivation, qui sait ! Pour l’instant, je suis seul et je ne sais pas comment faire pour passer ces étapes. Les médias qui s’intéressaient à moi sont partis, chacun est retourné à sa vie normale. Moi je suis là, sans conseil, sans guide. C’est cela être non-voyant à Maurice en 2025. Tous les rêves ne sont pas permis malgré nos efforts.

 

Afraz, 21 ans

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