Notre FUTUR

Deux chemins, une même force

Né aveugle, Kevin a toujours pu compter sur son frère jumeau, Teddy, pour avancer. Mais c’est par lui-même qu’il veut tracer son chemin. À 20 ans, entre l’association Lizie dan lamain et son apprentissage de la vannerie, il rêve de devenir entrepreneur. Parce que son handicap ne définit pas son avenir.

 

Mon frère jumeau et moi, Teddy, avons débarqué dans la vie de nos parents un jour d’octobre, il y a 21 ans. Moi, je suis né aveugle. Lui non. N’empêche, on a toujours été inséparables, comme deux moitiés d’un même tout.

 

À Baie-du-Tombeau, où on habite, c’est un quartier populaire. Y’a du bruit, des disputes dans la rue, des gens qui parlent trop fort… Nous, on a choisi de rester dans notre bulle. Moi, je sors juste pour aller à la boutique du coin, à l’association Lizie dan lamain ou avant, à l’école des aveugles à Beau-Bassin. Teddy, lui, a eu une scolarité normale. Mais ça ne nous a jamais éloignés.

 

Depuis quelque temps, j’apprends la vannerie. J’ai toujours voulu avoir un métier manuel, quelque chose qui me permet d’être indépendant. Et puis, j’aime le travail bien fait, le fait de créer un objet de mes propres mains. Teddy, lui, est apprenti plombier. Il bosse dur aussi. On est différents, mais on se comprend.

 

Ça fera bientôt deux ans que je vais à l’association Lizie dan lamain. Là-bas, j’ai découvert la vannerie, et ça m’a tout de suite plu. On est six dans la classe. Chacun a son rythme, son style. Moi, j’aime le défi de sentir la matière sous mes doigts, de tresser les fibres avec précision. Mes mains voient pour moi.

 

Les objets qu’on fabrique, ce ne sont pas juste des paniers pour faire joli. Ils partent dans des supermarchés comme Winners, dans des hôtels, chez des particuliers. C’est du vrai travail artisanal, et ça me motive encore plus.

 

Mon rêve, c’est de monter ma propre entreprise. Être mon propre patron, gérer mon truc, embaucher d’autres personnes… Pourquoi pas ? J’ai toujours voulu être autonome, ne dépendre de personne. Pour moi, c’est ça, la vraie liberté.

 

Teddy et moi, on a toujours été un duo. Quand on était gamins, il me décrivait tout : les couleurs, les gestes des gens, les expressions sur les visages. Il était mes yeux, et moi, j’étais sa voix intérieure, celui avec qui il pouvait parler de tout, sans filtre.

 

Aujourd’hui, on vit toujours chez nos parents. Parfois, on sort faire les magasins. Il choisit les habits pour moi, je lui donne mon avis sur la matière. Il me décrit les couleurs, je lui dis ce que j’en pense. Ça peut sembler banal, mais pour nous, c’est un vrai moment de complicité.

 

Sinon, nos conversations ne sont pas toujours profondes. Souvent, on parle pour ne rien dire. On fait des blagues, on rigole. C’est ça, notre équilibre. Pas besoin de grands discours.

 

Marcher dans les rues de Port-Louis, c’est une épreuve pour moi. Les gens sont pressés, impatients. Ils me bousculent, soupirent quand je tarde à avancer. J’entends leurs murmures, je sens leurs regards agacés. Comme si j’étais un problème, un obstacle sur leur chemin.

 

Mais moi, je ne me laisse pas abattre. Chaque coup d’épaule, chaque remarque, c’est une raison de plus de prouver que je suis là, que j’existe, que je suis capable. Je me tiens droit, je marche avec détermination. Ce monde n’est pas fait pour les gens comme moi ? Tant pis. Je vais me faire ma place quand même.

 

Être aveugle ne m’empêche pas de profiter de la vie. Quand je vais à la plage, je ne vois pas la mer, mais je la ressens. Le sable sous mes pieds, la chaleur du soleil, le vent sur ma peau, le bruit des vagues. Tout ça, c’est mon paysage.

 

Je perçois le monde autrement. À travers les sons, les textures, les odeurs. Ce n’est pas une faiblesse, juste une autre manière d’exister. Alors oui, ma vie est peut-être différente. Mais elle est pleine, riche, et surtout, elle m’appartient.

 

Kevin, 20 ans

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