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Chido, le premier cyclone de ma génération à Agaléga

Le 10 décembre 2024, le cyclone Chido a frappé de plein fouet Agaléga, ce confetti isolé du territoire mauricien qui n’avait pas vu pareil monstre depuis plus de 40 ans. Pour la jeune génération, c’était une première. Wayne, comme la plupart des habitants de son île, reste marqué par cette nuit de chaos : des rafales à 243 km/h et des pluies torrentielles. Ailleurs, Chido a été bien plus meurtrier. Mayotte et le Mozambique ont été mis à genoux : plus de 120 morts, des centaines de milliers de sinistrés. Pour Agaléga, il n’y a pas eu de victimes. Mais une certitude reste : cette nuit de terreur laisse une première cicatrice dans la mémoire de la jeune génération.

 

J’habite à L’ Affouche, un petit village d’une quinzaine de maisons sur l’île nord d’ Agaléga, près du port. Notre maison est une structure simple : quatre murs blanchis à la chaux, un toit en tôle ondulée qui grince au moindre coup de vent, et une petite véranda où on a l’habitude de manger, de jouer aux dominos. Depuis que je suis né, je n’ai jamais connu de cyclone. Même les gran dimounn disent que cela fait plus de 40 ans qu’aucun cyclone n’a frappé notre île. Pour moi, un cyclone, c’était juste des histoires, un truc qu’on racontait, comme quand mon grand-père me parlait de Carol. Apparemment c’était l’un des cyclones les plus destructeurs de l’histoire de l’océan Indien, qui a frappé Maurice en février 1960. 

 

Mais le 10 décembre 2024, tout a changé. À Agaléga on est en principe à l’abri des zones cycloniques. Pourtant, ce jour-là, les coast guards sont venus nous prévenir que Chido approchait. C’est moi qui les ai accueillis à la maison, et qui ai dû annoncer la nouvelle à mes parents et à ma petite sœur. À vrai dire, ça ne m’inquiétait pas du tout. Ils nous ont donné des consignes strictes : ne pas sortir, ne surtout pas aller en mer. C’était un premier avertissement. Mais honnêtement, il pleuvait un peu, il ventait un peu, rien de plus.

 

Mes parents, eux, ont pris ça au sérieux. Sous notre toit en tôle, ils ont tout de suite mis des provisions de côté et préparé des sacs avec quelques affaires essentielles, au cas où. Le village entier était en alerte. Certains étaient carrément paniqués. Ceux qui avaient des pirogues les ont sorties de l’eau pour les mettre à l’abri. J’observais les hommes tirer les barques en bois sur le sable détrempé. C’était un moment étrange, entre inquiétude et inconnu.

 

Finalement, ça semblait plus sérieux que prévu. Les autorités nous ont demandé d’évacuer et de nous réfugier dans le bâtiment où logent les militaires indiens. Ce n’est pas très loin de mon village heureusement. On a pris avec nous le strict nécessaire : médicaments, eau, et de quoi grignoter. En partant, j’ai regardé notre maison, ses fenêtres étroites, le jardin, en espérant que le tout tiendrait le coup. Moi je ne savais pas ce que ça peut faire un cyclone. 

 

Quand on est arrivés au refuge, on s’attendait à y trouver un minimum de confort : des matelas et un peu de nourriture. Mais il n’y avait rien. Nous étions entassés dans un long couloir. Pas de lits de camp, pas de draps, pas d’électricité, rien à manger. C’est sûr que nous étions à l’abri dans un bâtiment en béton mais on ne peut pas dire que c’était super.  Mon père et notre voisin n’ont pas hésité : malgré la pluie qui tombait de plus en plus fort, ils sont retournés en 4×4 chercher des matelas et des draps. Je les ai regardés partir, le cœur serré. J’avais peur. Et s’ils ne revenaient pas à temps ?

 

Ils sont revenus juste avant que le vent ne devienne complètement fou. Cette nuit-là, j’ai à peine dormi une heure. Il y avait beaucoup de bruit, comme si le vent tapait de tous les côtés. C’est peut-être parce qu’on était dans le noir que c’était angoissant.  On avait quelques torches pour éclairer un peu quand même cet endroit.  J’ai passé des heures  à espérer que le lendemain, tout irait bien.

 

À l’aube, tout était fini. Enfin, c’est ce que je croyais. Chido c’est vrai était parti mais il ne nous a pas fait de cadeau. En sortant, j’ai vu les arbres couchés sur le sol, leurs troncs éclatés comme des allumettes, des tôles arrachées qui jonchaient la route. L’air était rempli d’une odeur de sel et de bois humide. Mon île était défigurée. En rentrant chez nous, le choc : notre maison était éventrée. Fenêtres explosées, toit envolé, porte grande ouverte. L’eau avait tout inondé, nos matelas, nos vêtements, nos affaires. Je suis resté figé sur le seuil, incapable d’avancer. Mes parents non plus ne parlaient pas. Juste ce silence le temps qu’on accepte ce qui était sous nos yeux.

 

Avec maman, on a commencé à tout nettoyer. On a dû jeter nos matelas, nos meubles trempés. Pendant quatre jours, ma sœur et moi avons dormi chez ma grand-mère, dont la maison, avait résisté au cyclone. Par contre, dans le village, plus personne n’avait l’électricité et l’eau courante. 

 

Maxwell, un ami de mon village, et moi, nous ne pouvions rester sans rien faire. Alors, on a pris des outils et on a commencé à dégager le petit sentier qui est le seul accès de la route principale à notre village. Branches, débris, arbres déracinés, on a tout enlevé, rien que nous deux. Mais on était fiers de participer à remettre L’ Affouche debout. Petit à petit, les choses ont recommencé à bouger. L’eau et l’électricité ont été rétablies après 48 heures.

 

Par contre, nous n’avons pas eu de nouvelles des habitants de l’île sud pendant trois jours. C’était la première fois qu’on vivait une telle situation. En fait, aucune communication par téléphone n’était possible et comme la mer était toujours mauvaise on ne pouvait pas s’y rendre en bateau. C’était assez angoissant car nous ne savions pas si pour eux tout allait bien. 

 

Quand nous avons enfin pu les revoir, on a compris que eux avaient subi plus de pertes : leur bétail, les cochons, les poules, les canards. Les deux cold room – chambres frigorifiées où on stocke tous les aliments périssables de l’île avaient été abîmées. Certains pêcheurs ont perdu leurs pirogues. 

 

Chido a laissé une marque dans ma mémoire. Je n’ai pas envie de revivre un cyclone. Je repense aux plages rongées par l’érosion, aux maisons détruites, aux jours passés sans nouvelles des habitants du sud de l’île.

 

Maintenant, je sais ce que c’est, un cyclone.

 

Wayne, 16 ans

1 Commentaire

  • Clarissa

    Ce témoignage est bouleversant. Traverser un cyclone doit être une expérience terrifiante. Je comprends que cela puisse laisser des traces profondes.

  • Yohan

    Ça a du etre tres dur!
    Et pour nous les agaleens à Maurice,c’etait horrible de ne pas avoir de novelle avant 3 jours.

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