Pour les jeunes, par les jeunes de l’océan Indien
L’île Maurice est généralement décrite comme une petite île, un point au milieu de l’océan. Pourtant, pour certains de ses habitants, une distance jugée minime peut faire une énorme différence. C’est ce que Pamplemousse a découvert lorsqu’elle est partie secrètement de son village de sur la côte ouest pour rejoindre son petit ami dans la ville de Curepipe. Comme si elle avait fait une traversée vers un autre monde plus vaste…
Pendant les vacances, l’ennui a commencé à s’installer. Mon village, dans l’ouest de l’île, est paisible. Peut-être trop paisible. Il ne s’y passe jamais grand-chose, à l’exception du Tournoi Vilaz, le seul moment où l’endroit est bondé et animé. J’avais besoin de dépaysement, de quelque chose de nouveau, de différent. Alors, sur un coup de tête, j’ai décidé de faire un tour à Curepipe, une ville où je n’avais jamais mis les pieds jusque-là. Notre île est toute petite, mais nous n’avons même pas le droit de prendre le bus pour aller loin, vers d’autres villes considérées comme trop lointaines. Alors on continue à tourner en rond ! Les gens d’ailleurs nous appellent Zanfan Vilaz, comme si nous étions idiots ou quelque chose comme ça !
Alex, mon petit ami, habite tout près, alors je lui ai demandé s’il pouvait me faire visiter les lieux. Il a accepté et j’ai fixé une date. Bien sûr, je ne pouvais pas en parler à mes parents : ils ne l’auraient jamais permis. Au lieu de cela, je leur ai dit que je passerais la journée au centre commercial de Trianon (un seul bus pour y aller). Un petit mensonge inoffensif, mais nécessaire.
Mes parents ne me laissent pas aller loin sans mon frère. « Le monde est trop dangereux maintenant », dit sans cesse ma mère. Il y a des crimes partout, des gens disparaissent, de mauvaises choses se passent à chaque coin de rue. Elle s’inquiète pour tout, et parfois, j’ai l’impression que ma liberté m’échappe à cause de ça. Je sais qu’elle veille juste sur moi, pour assurer ma sécurité, mais c’est étouffant. Au fond, je craignais aussi ce qui pouvait arriver, mais ma curiosité était bien plus forte que mes peurs. Si j’avais dit la vérité à ma mère, elle ne m’aurait jamais laissée y aller.
Le voyage était long : deux heures et demie. Le trajet en bus semblait interminable, à travers des paysages qui changeaient lentement à mesure que je me rapprochais du centre de l’île. Quand je suis enfin arrivée, la première chose qui m’a frappée, ça a été le froid. L’air était glacial. Je ne portais qu’un t-shirt et un pantalon léger, comme pour un jour ordinaire. Grosse erreur. J’ai frissonné en descendant du bus. La ville ne ressemblait en rien à ce à quoi j’étais habituée. La mousse recouvrait chaque recoin des vieux bâtiments, s’accrochait aux murs, grimpait dans les escaliers. Les rues étaient pour la plupart vides, le ciel d’un gris terne. Chez nous, sur la côte, le soleil brille presque tous les jours, l’air est chaud et salé. Mais ici ? Le soleil est à peine apparu. C’était comme entrer dans un autre monde.
Alex m’a d’abord emmenée au bazar. Les étals étaient remplis de vêtements, d’accessoires et de petits bibelots. Tout avait l’air spécial, différent de ce que j’avais l’habitude de voir de mon côté de l’île. Les gens étaient polis mais pas vraiment amicaux – une sorte de froideur tranquille, un peu comme le temps. Nous sommes passés devant l’église Sainte-Thérèse, une structure imposante qui se dresse face au Collège Saint-Joseph. Je voulais prendre des photos, capturer le moment, mais mon appareil photo n’était pas très bon. C’était vraiment frustrant, parce que j’avais l’impression d’être dans un endroit entièrement nouveau et je voulais garder une trace de tout cela.
À l’heure du déjeuner, nous avons décidé de prendre quelque chose à manger. Nous avions prévu d’aller à Va Bunny, un endroit que tout le monde semble aimer, mais il était fermé. Déçue, j’ai regardé autour de moi et j’ai repéré une enseigne que je n’avais jamais vue avant : Tealive. Le nom ne me disait rien du tout. Nous n’avons pas cela là où j’habite. Curieux, nous sommes entrés. Ils vendaient des sandwichs et du bubble tea, quelque chose que je ne connaissais pas du tout. Je l’ai quand même essayé, plongeant dans la nouveauté de tout cela.
L’après-midi avançait, j’ai vérifié l’heure et j’ai réalisé que je devais rentrer chez moi. J’habite vraiment loin. Un long trajet m’attendait et je ne pouvais pas me permettre de rentrer tard. Mais en descendant du bus dans mon village, j’ai été prise d’une autre angoisse. Et si mes parents l’apprenaient? Mon père vient souvent à Curepipe pour voir ses amis et ma mère y travaillait. S’ils m’avaient vue là-bas ou entendu quelque chose… j’aurais eu tellement de problèmes. Mais rien ne s’est passé. Ils ne se doutaient de rien. Le soulagement m’envahit, mêlé à une étrange excitation.
Cette journée m’a fait réaliser quelque chose : j’adore découvrir de nouveaux endroits. Curepipe ressemblait à un autre pays, un lieu rempli de mystère et de coins cachés à explorer. En comparaison, mon village me semblait soudain petit, presque trop petit. Nous n’avons qu’un terrain de football et quelques « tabagies ».
Il y a 44 kms de distance entre mon village et Curepipe, mais c’était comme deux mondes différents.
Et ce n’est pas fini. La prochaine fois, je veux visiter le jardin botanique. Il y a tellement plus à voir, à expérimenter. Je me sens un peu coupable d’avoir menti à mes parents, mais un jour, quand je serai plus grande, je leur dirai tout. Pour l’instant, je veux juste continuer à explorer, continuer à rechercher ce sentiment d’entrer dans l’inconnu.
Pamplemousse, 17 ans