Pour les jeunes, par les jeunes de l’océan Indien
Beaucoup de jeunes Rodriguais pensent que Maurice est l’endroit rêvé pour réussir. Annalisa n’est pas de cet avis. À travers l’expérience de son frère Clarel, elle a pu mesurer à quel point c’est difficile. Mais si elle est très attachée à son île, elle s’interroge sur la possibilité d’y accomplir ses rêves professionnels.
Moi, Rodrigues, je l’aime. C’est tranquille, c’est beau, et on n’a pas besoin de trucs trop compliqués pour être heureux. Ici, les enfants jouent encore à la marelle, aux dominos. Mon jeu préféré, c’est pousser mes potes dans une brouette, à fond, dans la boue. C’est des trucs simples, mais c’est ça qui rend notre vie unique.
Mon frère Clarel, il parlait souvent d’aller à Maurice, mais on pensait tous qu’il blaguait. Sauf qu’un jour, il nous a montré son billet d’avion. Il nous a dit qu’il partait dans deux semaines. Ça m’a coupé l’appétit. Je me suis mise à pleurer direct.
Clarel, c’est pas un saint. Tout le village le connaît comme un menteur et un bagarreur. Mais malgré tout, pour moi, c’était un modèle. Quand j’étais petite, je voulais être comme lui. Après, en grandissant, j’ai vu ses défauts : il fume, il boit, il s’énerve pour rien, il dit des gros mots à longueur de journée. Mais il a toujours pris soin de moi et de ma sœur. Il nous protégeait. Et il nous disait souvent qu’à Rodrigues, on ne pouvait pas vraiment avancer.
Bien sûr, il manque des choses. Moi, je rêve d’être avocate. Mais ici, il n’y a pas d’université, pas de moyen d’aller plus loin. Et si tu as des problèmes comme un divorce, y a personne pour t’aider. Alors ouais, peut-être qu’un jour je devrai partir pour ça. Mais pour le moment, Rodrigues me suffit.
Le jour où Clarel est parti, ça m’a brisé le cœur. Avant de quitter la cour familiale, il a pleuré. On a tous pleuré. C’était un moment bouleversant pour la famille Edouard. On savait que son choix était définitif: ici, il n’y a pas assez de boulot pour les jeunes comme lui.
Depuis son départ, cela fait plus de deux ans, il nous appelle tous les soirs. Il nous raconte ses galères, son quotidien. Au début, il travaillait comme serveur à Maurice. Mais ça a mal tourné et il a quitté ce travail. Maintenant, il fait des livraisons de marchandises dans toute l’île Maurice. Il a une copine là-bas depuis quelques temps, alors il se sent moins seul. Je suis fière de lui, mais je sais que c’est pas la vie qu’il rêvait. Moi, je veux faire mieux. Je veux réussir pour rendre fière ma famille.
Beaucoup de jeunes de Rodrigues partent à Maurice ou ailleurs. Ils pensent que c’est mieux. Mais quand je les entends raconter leurs galères – la drogue, le stress, les jobs précaires – je me dis qu’ils oublient ce qu’ils laissent ici. Rodrigues, c’est peut-être pas grand, mais c’est chez nous. Moi, je veux rester ici, avec ma famille et mes racines. Mais mon île ne me donne pas beaucoup d’opportunités. Je ne veux pas devenir pêcheuse, agricultrice ou pire fonctionnaire. Que me reste-il donc dans mon île ?
Annalisa, 16 ans