Pour les jeunes, par les jeunes de l’océan Indien
Stéphane a choisi d’être paysagiste. Mais à Rodrigues, l’accès à l’eau est un défi majeur. Si quelques projets de dessalement ont timidement vu le jour, le problème reste chronique, affectant le quotidien des familles et l’avenir des métiers liés à la terre. Comme tous les Rodriguais, il cherche des solutions.
Dans mon village, Anse Fémie, la sécheresse, c’est notre quotidien. La terre craque sous nos pieds, et on sent la chaleur qu’elle garde. L’eau potable, c’est un vrai défi ici. Je dirais plus que n’importe où à Rodrigues. La Water Unit, le réseau public, nous donne de l’eau potable deux fois par an, en juillet et septembre, et encore, pas toujours. Parfois, s’il y a une grande occasion, comme une première communion, on peut en avoir un peu plus. Sinon, on fait avec l’eau de pluie qu’on capte dans des bassins qu’on aménage nous-mêmes ou on va jusqu’au bassin communautaire à Caverne Corail, un réservoir que les autorités approvisionnent presque tous les jours. Là-bas, on remplit nos bidons pour boire, cuisiner et nettoyer.
Chez moi, on est trois, mais mes voisins, eux, c’est une grande famille avec une grand-mère et plein d’enfants. Alors, on s’entraide. Quand je vais chercher de l’eau, j’en prends aussi pour eux. Ici, si on n’est pas solidaire, on ne s’en sort pas. Parfois, on va jusqu’à une source pour chercher de l’eau. Près de chez moi, il y en a une qu’on appelle Tigom. Beaucoup de gens y vont pour laver leur linge, remplir des bidons à ramener à la maison, ou encore pour faire boire leurs animaux. La distribution d’eau potable devient de plus en plus critique, et on n’a souvent pas d’autre choix que de se débrouiller comme ça.
Moi, je fais pousser des plantes même sans eau.
Je suis paysagiste. Mon boulot, il dépend beaucoup des saisons. En été, les gens m’appellent pour embellir leurs jardins. J’ai appris ce métier au Centre Agricole Frère Rémi, un endroit qui forme des jeunes comme moi depuis plus de 50 ans. Après mon CPE, à 11 ans, j’ai décidé d’apprendre un métier là-bas. On y fait de tout : élevage (cochons, poules, lapins, canards) et plantation. On apprend aussi à reconnaître les plantes et leurs bienfaits. Par exemple, on sait que le thym ou l’ayapana, c’est bon pour la santé, et le zanrober est top pour les coliques.
À 18 ans, j’ai fait un stage dans un hôtel à Graviers. C’est là que j’ai découvert comment aménager des espaces verts. J’ai proposé mes idées, et ça m’a vraiment plu. Depuis, je bosse pour des hôtels, des particuliers et des entreprises. Petit à petit, j’ai compris les plantes, leurs besoins, et comment les adapter à Rodrigues.
Avec si peu d’eau, il faut faire travailler sa tête. Ici, on dit que la vie du planteur c’est le système D. Moi, j’ai adopté la permaculture. C’est ce qui donne le meilleur résultat. Pour mes champs de maïs, de manioc et de haricots, je prépare la terre avec des troncs de bananiers et des coques de noix de coco. Ça garde l’humidité et nourrit le sol en même temps. Résultat : je n’ai besoin d’arroser qu’une ou deux fois. C’est parfait dans une île comme Rodrigues où l’eau est une denrée rare.
Grâce à mon boulot, j’ai pu voyager. J’ai fait des stages en Ouganda et au Burkina Faso. Là-bas, j’ai découvert des techniques de recyclage avec les déchets organiques. J’aimerais bien ramener ça ici, mais encore une fois, tout revient à l’eau. Sans eau, rien ne pousse, rien ne marche.
Il n’y a pas que les plantes, je m’occupe aussi des animaux.
Chez moi, j’élève des cochons. J’ai deux truies et un pourceau. J’ai construit un bassin pour qu’ils aient de l’eau, mais il faut le nettoyer régulièrement pour éviter les maladies.
Entre nous, les agriculteurs et paysagistes, on ne parle presque jamais du problème de l’eau. On est habitués à se débrouiller et à trouver des solutions. Parce qu’ici, tout dépend de l’eau.
Stéphane, 25 ans