Notre FUTUR

Des balais pour avancer

Auprès de sa grand-mère, aujourd’hui décédée, Delool a appris à faire des balais à partir d’une plante appelée port. Si elle fournit à sa famille un moyen de subsistance, cette tradition unique à l’île Rodrigues serait en train de se perdre. Tout en allant à l’école, il songe à peut-être un jour transmettre ce savoir-faire.

 

Je suis un jeune qui habite Malartic, au centre de l’île Rodrigues, à une quinzaine de minutes en voiture de la capitale. Depuis que je suis petit, 9 ou 10 ans, j’ai vu ma grand-mère fabriquer des balais à partir d’une plante qu’on appelle port, ici à Rodrigues. Les balais faits à partir de port sont réputés de très bonne qualité : solides, quasi inusables, ils sont aussi un bon moyen pour un jeune de gagner sa vie.

 

Le port est de la même famille que les fataks, utilisés à Maurice pour la fabrication de balais. C’est une tige qui ressemble aux feuilles de canne, et c’est sa fleur qu’on utilise pour faire les balais. Cette plante sert aussi comme barrage entre les parcelles de terre. Elle pousse toute l’année dans des endroits où il fait froid et plutôt humide, avec des rapports qui varient. Parfois la récolte est maigre, parfois abondante. Une fois la récolte faite, il faut couper les plantes pour qu’elles germent à nouveau. Quand ça fleurit beaucoup, ça peut rapporter pas mal d’argent. C’est comme ça chez moi à Malartic. On y trouve aussi des fruits plutôt rares comme les zanbourzwaou vavang.

 

J’ai aussi un souvenir d’enfance pas très rigolo avec ce port : il était utilisé comme un rotin par les adultes pour corriger les enfants. J’en ai fait l’amère expérience. Ces longues tiges coupent comme un rasoir. D’ailleurs Il faut être extrêmement prudent pour faire la récolte. Il faut se vêtir d’un long pantalon et d’un t-shirt à manches longues. Pour prélever les fleurs, il faut utiliser un crochet. J’en ai fabriqué un avec du fer. Il me permet d’atteindre les tiges au-delà des premières rangées.

 

Il faut d’abord mettre les tiges à sécher sur de la tôle ou sur des barres de fer qu’on pose au sol. Il faut éviter à tout prix que les tiges ne touchent le sol. On les laisse au soleil environ deux à trois semaines. Quand la météo n’est pas bonne, on peut même compter un mois. On sait que les tiges ont complètement séché quand on voit qu’elles ont fait de la poussière. De fines particules se détachent des tiges. Cette poussière, on la récupère pour la rajouter comme engrais dans les plantes. Ici, rien ne se jette. De plus, ce balai ne crée pas de pollution, il ne contient pas de plastique. Bien sûr, il ne dure pas indéfiniment. Mais quand il finit par s’user et se casse en morceaux, on peut mettre au compost. Il ne pollue pas.

 

C’est auprès de ma grand-mère que j’ai appris tout cela. Ma grand-mère était une championne de l’artisanat. Elle faisait surtout des chapeaux de paille et des balais en port.

 

Nous avons toujours été ensemble jusqu’à ce qu’elle ait le diabète et qu’elle meure. Ma maman a décidé de prendre la suite et de continuer sur ses traces. C’est ce qu’elle fait depuis 2019. Elle ressemble beaucoup à ma grand-mère.

 

Moi, je me charge d’aller récolter cette matière première et ma maman se charge de fabriquer les balais. Elle les vend aux marchands qui vont à leur tour les revendre en ville, ou bien aux voisins, aux passants. Ici à Rodrigues, un balai acheté chez l’artisan se vend à Rs 200. Je trouve que c’est un prix juste parce qu’il y a beaucoup de travail derrière. Par contre, les revendeurs n’hésitent pas à pousser le prix jusqu’à Rs 300 ou même Rs 400 parfois.

 

Beaucoup de gens viennent aussi commander leurs balais directement auprès de maman. Ils sont livrés en 24 heures. Parfois, on peut vendre jusqu’à une trentaine de balais par semaine. Quand maman a son argent, elle me donne de quoi m’acheter trois bricoles.

 

Maman, mon petit frère et moi, nous vivons dans une petite maison en tôle de deux pièces. Je trouve qu’on est confortable malgré tout. Mon petit frère de 7 ans, qui est muet, me suit dans les champs pour ramasser les tiges de port. Avant, on était accompagné de nos chiens car on avait peur de se faire battre par d’autres personnes dans la rue. Finalement, en grandissant, nous avons compris que ces gens étaient là pour attendre leurs salaires ou que c’étaient juste des passants.

 

Nous soutenons maman dans son travail car c’est le seul revenu que nous avons chaque mois en plus de la pension sociale du National Empowerment Fund. Oui, le port tient une place importante dans nos vies.

 

Pour le moment je n’ai pas envie de me lancer dans la confection de balais en port et je préfère continuer mon chemin à l’école. Je songe à reprendre ce travail un jour mais tant que ma maman est là, je l’aiderai en étant son ramasseur officiel !

 

Ce qui me plait dans tout ça, c’est que cette culture du ramassage et du tressage de ces tiges pour en faire des balais existe seulement dans nos îles. Le port est utilisé uniquement à Rodrigues. Je sais que beaucoup de jeunes s’en sont éloignés malheureusement.

 

C’est toute une tradition qui doit se conserver et que moi-même je montrerai peut-être à d’autres, un jour!

 

Delool, 16 ans

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